Le lendemain, nous filons vers Jaisalmer, à 330 km, le point le plus à l'ouest de notre voyage. Nous sommes à moins de cent bornes du Pakistan. Ville de garnison, gros aéroport militaire, gigantesques casernes, ce n'est pas l'amour fou entre les deux pays. En outre, nous sommes au lendemain de l'attentat-suicide qui a fait plus de quarante morts au Cachemire chez les militaires indiens et les mouvements de troupe sont nombreux : bref, ça sent la poudre !
A peine arrivés à l'hôtel, notre brave chauffeur Kumar insiste pour que nous allions faire une "camel ride" dans le désert quarante bornes plus loin. Pas friand de ces attractions touristiques, je décline plusieurs fois. Mais comme Marianne a l'air d'y tenir et que Kumar semble déçu (pardi, il doit toucher un bakchich !), de guerre lasse, je finis par m'incliner.
Bon, ça donne l'occasion de faire une jolie photo au soleil couchant :
Et puis surtout, ça me permet de me marrer lorsqu'après une halte dans les dunes où les chameaux ont baraqué, celui de ma douce se relève et qu'elle se demande si elle va passer par dessus bord par l'avant ou par l'arrière ! Mais la récréation ne va pas durer car dans une minute, c'est à mon tour !
Après, excellent dîner à emporter la gu...le -ils n'ont pas demandé si on voulait spicy ou pas, mais ce n'est pas pour nous déplaire- avec la musique et les danses locales en compagnie de quelques Italiens, Américains et Japonais. Le soir dans le désert, il pèle velu et comme nous mangeons à la belle étoile, nous accumulons les couches : petite polaire, puis grosse polaire dessus, puis veste de montagne... C'est la fin de la séquence "Les vacances des Bidochon" . Demain, nous passerons toute la journée à Jaisalmer, une ville qui m'a scotché .
Tu ne m'enlèveras pas de l'idée qu'une casquette , c'est plus confortable
Jaisalmer, une ville dont j'ignorais jusqu'au nom et qui m'a épaté : imaginez un triangle rocheux entouré de remparts où se blottissent palais, temples, échoppes diverses dans un imbroglio inextricable.
Mais tout d'abord, à son pied, le lac artificiel vieux de 800 ans où les oiseaux migrateurs sont ravis de l'aubaine après la traversée du désert de Thar, surtout que nous sommes en saison sèche.
Puis nous empruntons la seule porte avec les inévitables vaches qui traînent partout. Dans le raidillon, les marchands exposent leurs tapisseries.
Tout est construit dans un grès doré qui donne une belle lumière chaude.
Pour dix roupies, le propriétaire de cette maisonnette donne accès à son balcon pour la photo souvenir. Dommage qu'il n'ait pas retiré les fils électriques...
La ville est placée sous la protection de Ganesh et le dieu-éléphant est représenté sur la plupart des boutiques.
Puis nous visitons le temple jaïn : je reparlerai plus tard de cette religion.
A midi, nous mangeons dans ce modeste restau : un régal pour moins de quatre euros à deux. Le propriétaire a pris soin d'offrir des chapatis aux vaches qui squattent son entrée.
Et ensuite, visite du palais dont je vous fais grâce, avec vue depuis la terrasse sur les remparts et la ville basse.
Stupéfiant... Certaines constructions (oeuvres..?) sont vraiment magnifiques...!
Merci @Zoréol pour tout ça.
Dure vie de bagnards, nous partons à 280 km au sud-est pour Jodhpur. Le fort de Mehrangarh a la particularité de ne jamais avoir été pris, malgré les nombreux et joyeux frittages auxquels se sont livrés les gens du coin -et d'ailleurs !- au fil des siècles. On comprend pourquoi en voyant son aspect rébarbatif !
L'envers vaut l'endroit, et voici un aperçu des cours intérieures.
Les gardiens du monument sont pittoresques et ils ont de si jolies babouches ! Ne riez pas, je m'en suis acheté une paire quelques jours plus tard pour regarder au chaud les GP pendant le terrible hiver austral : ça a plus de gueule que les charentaises, non ?
Des dizaines de somptueuses salles, un seul exemple pour ne pas lasser.
Comme pour les milliers d'objets des collections : juste le palanquin des femmes soigneusement occulté pour que rien ne soit dévoilé de leur précieuse anatomie et ces deux miniatures en ivoire qui m'ont tapé dans l'œil.
D'une fenêtre, la vieille ville bleue. A l'origine, la couleur était réservée aux Brahmanes, mais on s'est aperçu qu'elle repoussait les mouches et les autres castes ont obtenu le droit de badigeonner ainsi leurs maisons. Nous irons y faire un tour tout à l'heure.
Après un rapide rafraîchissement à l'hôtel, nous prenons un tuc-tuc qui nous dépose à l'entrée de la vieille ville : l'habituel bordel de la circulation.
Le marché se tient au pied de l'imposante citadelle et il est comme toujours haut en couleurs.
Les épices qui font la saveur de la succulente cuisine indienne : curcuma, garam masala, poudre de curry, et bien sûr l'inévitable dynamite !
Ce tuc tuc de livraison a l'âge de ses artères :
Et juste après le marché, le lacis des ruelles de la ville bleue. Lorsque nous avons annoncé à Kumar que nous partions nous balader tout seuls à pied là-bas, le pauvre s'est étranglé :
"Are you sure, sir ? It's a little bit dangerous !
- Don't worry, Kumar !
- I'll come with you !
- No, Kumar, we prefer walk alone and take a look by ourselves quietly.
- If you want, but be very cautious !"
Naturellement, tout s'est bien passé et Marianne en a profité pour tomber en arrêt sur ces jolis petits plats métalliques, inox dedans, cuivre dehors que l'on trouve sur toutes les tables indiennes. Et hop ! Un kilo de plus dans ma valise !
Avant de trier toutes les images de mon périple, voici l'IMAGE...
Détroit de Gibraltar, nous quittons l'Atlantique et revenons sur Mare Nostrum...
L'Afrique avec l'extrême nord du Maroc et l'enclave espagnole de Ceuta tout à gauche.
En face l'Atlantique.
A droite l'Europe avec de sud de l'Espagne et l'enclave britannique (provisoirement peut-être) du Rocher de Gibraltar.
Puis étape à Jojawar, gros bourg sans autre intérêt que de couper une route qui serait bien longue sinon. Encore une fois, nous dormons dans une ancienne demeure de riches bourgeois transformée en hôtel, dont le patron est très fier de sa Ford 1928 restée dans la famille.
Comme il n'y a pas grand chose à faire, il nous propose de nous déposer avec sa Jeep Mahindra dans une petite gare de campagne d'où nous reviendrons non pas par un train touristique, mais par un tortillard de ligne. Va pour l'expérience : ce n'est effectivement pas triste !
Vu la vitesse du déplacement dans ces collines escarpées et les nombreux arrêts (c'est le mécanicien qui descend pour actionner les aiguillages !), j'ai tout loisir de photographier ces singes langurs et ce bel oiseau.
Le lendemain tôt avant de reprendre la route, photos d'ambiance dans le village.
Ensuite, nous repartons avec une halte au temple jaïn de Ranakpur qui date du XVème siècle. Nous avions vu un petit temple jaïn à Jaisalmer, mais celui-ci est grandiose. Je vous avais promis à l'époque un topo sur le Jaïnisme : cette religion est apparue quelque part entre le Xème et le Vème siècle avant J-C et prône avant tout la non-violence, c'est à dire le respect de toute vie, si infime soit-elle. Les plus fêlés de ces doux dingues se baladent avec un masque sur le nez pour ne pas avaler un moucheron et balaient devant eux pour ne pas écraser par mégarde une fourmi. Ils ne prennent aucun moyen de transport qui éclaterait un moustique sur son pare-brise ou aplatirait un lézard. Naturellement végétariens, ils ne consomment pas non plus de légumes qui poussent sous terre (patates, carottes, oignons) car en les déterrant on risque de faire du mal à une bestiole qui vivrait dans les racines !
A part ça, ils ont construit un joyau, véritable dentelle de marbre :
Je vous ai gardé le meilleur pour la fin, le porche d'entrée : au plafond, ce démon possède une seule tête mais cinq corps. Il s'agit des pires turpitudes humaines dont il faut absolument se délivrer : la violence, la médisance, la malhonnêteté, l'attachement aux biens matériels et la luxure.
Tout autour, sous forme de frise, l'artiste a représenté l'un de ces péchés capitaux. Et lequel croyez-vous qu'il ait choisi ? Ben la luxure, pardi ! Je pense surtout que le bougre, pas mal travaillé par sa vie de chasteté, a donné libre cours à ses fantasmes en lançant ses personnages dans une partouze effrénée !
Et l'on arrive à Udaipur et son palais flottant.
Mais c'est le monumental City Palace construit au début du XVIIIème siècle qui constitue le clou du spectacle :
La svastika est omniprésente en Inde et constitue un symbole bienfaisant. C'est son utilisation par l'autre tordu qui lui a donné la connotation négative qu'elle a chez nous.
Après, un intérieur des Mille et Une Nuits et l'on ne sait plus où donner de l'appareil : quelques exemples parmi les dizaines de photos prises ce jour-là :
Un jardin sympathique et un bien beau petit oiseau :
Et dans des boxes de l'hôtel deux douzaines de babioles comme celles-là : la première a été primée au célèbre concours de Pebble Beach en Californie.
Après un jour et demi à Udaipur, on reprend la route, et au bout de deux-cents kilomètres, le site de Chittorgarh. La ville elle-même n'a aucun intérêt mais sur le plateau qui la domine, un ensemble de plusieurs hectares vaut l'arrêt. Le palais est en ruine...
Mais il y a bien d'autres choses, comme ces deux petits temples.
Une vieille femme attend l'aumône des fidèles en jouant de mini-cymbales.
Sur la route qui parcourt le plateau, scène banale de la circulation avec cette femme qui mène ses buffles je ne sais où sans se préoccuper du trafic .
Plus loin, un grand complexe envahi par les singes langurs avec sa tour de 37 mètres.
Les remparts sont imposants.
Le yoni (représentation stylisée du sexe féminin) et le lingam (symbole phallique) que l'on trouve un peu partout, et des visiteuses typiques.
Il y a encore deux-trois autres monuments notables, mais je m'arrête là.
Après un rapide repas ("Are you certain, sir, you want your dish spicy ?" ), on the road again. Les carrières de marbre et de grès sont nombreuses dans la région et les transporteurs chargent la mule : je n'aimerais pas me coltiner ce qu'on a mis sur le dos de ce vieux Tata !
Fin de la journée dans la petite ville de Bundi, avec une autre citadelle imposante mais un tantinet délabrée.
Après un rapide passage à l'hôtel, notre habituel viron en tuc-tuc pour profiter de l'animation de la cité.
Et dans le hall de notre hôtel, on a carrément mis les anciennes en vitrine (je ne parle pas de Marianne ).
Le lendemain, fortune de route : comme on l'a vu, les camionneurs n'hésitent jamais à rouler en surcharge (vous imaginez le poids de ces deux blocs de marbre ?) mais les bahuts apprécient modérément. Nous en avons rencontré un nombre incalculable en carafe, soit pneu explosé, soit comme ça doit être le cas ici, roulement cassé.
Finalement, question fiabilité, on n'a pas encore fait mieux que ça !
Arrivée à Pushkar, ville sainte hindoue.
Les anciennes Ambassador sont encore légion sur les routes, mais je pense que celle-ci ne repartira pas !
Mais c'est autour du lac sacré que se tient l'animation : les fidèles sont nombreux sur les ghats à procéder à leurs ablutions purificatrices sous l'œil impavide des pélicans.
C'est tout pour aujourd'hui.
Tu peux compter entre 45 et 50 tonnes pour un seul de ces blocs de marbres
Jaipur, la capitale du Rajasthan : le voyage commence à toucher à sa fin, il ne nous reste plus que quatre jours en Inde. Dans la ville même, des machines astronomiques d'un génial inventeur du XVIIIème siècle pour prévoir la course des étoiles, les éclipses, etc. Ne me demandez pas comment ça marche !
Le palais, tout au moins celui de Jaipur car nous irons en voir un autre à une dizaine de kilomètres ensuite, m'a semblé beaucoup moins intéressant que ceux déjà vus, alors je ne m'y attarde guère.
Ah oui tout de même, caprice de Maharadjah ! Celui en fonction à la fin du XIXème siècle fut invité à la cour d'Angleterre. En prévision de ce long déplacement, il a fait confectionner deux jarres -en argent, bien sûr- contenant chacune environ quatre mille litres et pesant à vide 345 kilos. Pourquoi ? Tout simplement pour emporter avec lui de l'eau sacrée du Gange et pouvoir se purifier durant son voyage !
Beaucoup plus esthétique à mes yeux, le Hawa Mahal (ou Palais des Vents) était une sorte de paravent géant pour que les dames de la cour puissent se divertir du spectacle de la rue sans être vues.
Et à Jaipur, les tuc tuc du centre, pour des raisons évidentes de pollution, doivent être électriques : une préfiguration des futures WRC ?
En parlant de transports urbains écologiques . Le second est photographié sur la route du Fort d'Amber où nous nous rendons de ce pas.
Le fort d'Amber, donc, un peu à l'écart de la ville, immense citadelle juchée en hauteur comme il se doit.
A son pied, l'un des baolis que nous avons pu voir. Au Rajasthan (pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?), on ne creuse pas un bête puits rond avec un seau pour en remonter l'eau. Non, on fabrique un véritable aven muni de nombreuses volées d'escaliers pour atteindre la nappe phréatique !
Une surfréquentation du fort, tant pis !
Des dizaines de cars déversent leur cargaison au pied de la rampe très escarpée qui mène au fort. Mais derrière, il y a une autre route pavée étroite que l'on peut emprunter sans problème en véhicule léger. Et donc, une véritable noria de dizaines d'éléphants charge les touristes au pied de leur car pour leur éviter la grimpette. Naturellement, Kumar nous a proposé "l'elephant ride", mais je me suis montré inflexible et lui ai demandé de nous emmener en voiture à l'autre porte, ce qui ne m'a pas empêché de photographier le spectacle !
Après, une fois de plus un décor époustouflant :
Et l'on finit par le garage la cour des éléphants, pas les promène-touristes, mais ceux que possédait jadis le Maharadjah.
En redescendant vers le centre ville, halte photo pour cet autre palais flottant (qui ne se visite pas).
J'ai repéré sur Lonely Planet un site implanté à une dizaine de kilomètres de Jaipur dont Kumar ne nous a pas parlé. Il nous y amène de bonne grâce même s'il tâtonne un peu et demande plusieurs fois son chemin à des passants. Il me remercie d'ailleurs car il ne connaissait pas et en parlera à ses futurs clients. Effectivement, à des années-lumière du très touristique fort d'Amber, le temple de Galta, coincé entre deux falaises, ne reçoit que quelques fidèles hindous et deux ou trois étrangers. Il est un peu défraîchi mais mérite le détour.
Alimentés par une source pérenne canalisée par le mufle de cette vache, ses bassins sont aussi purificateurs.
Surnommé Monkey Temple, il est colonisé par des hordes de singes, non pas des langurs comme ceux déjà vus, mais des macaques.
Kumar était un garçon prévenant et plein d'attentions -malgré sa propension à vouloir me faire grimper sur le dos des chameaux et des éléphants -. Je lui avais dit lors d'une conversation anodine que le 21 février, ma douce fêtait ses 37 printemps (hors taxes et octroi de mer ), puis avais oublié. Le jour dit, il est venu frapper à la porte de notre chambre à 7 heures du mat' avec un bouquet de roses : "Happy Birthday, Ma'am !"
Et nous reprenons notre chemin : sur ce qui s'apparente à une autoroute à six voies, ne nous étonnons pas de trouver un tracteur chargé d'une montagne de briques et un camion-transport en commun .
Longue halte à la ville impériale de Fatehpur Sikri construite au XVIème siècle par l'empereur Moghol Akbar mais désertée deux-cents plus tard à la suite de sécheresses persistantes. Akbar savait se distraire simplement et pour tromper l'ennui, il assistait aux exécutions capitales sous ce dais de pierre : le condamné était piétiné à mort par un éléphant .
D'ailleurs, à la mort de son éléphant-bourreau préféré, il fit bâtir en sa mémoire cette tour ornée de défenses en marbre. Elle est un peu excentrée, Marianne a préféré m'attendre à l'ombre pendant que j'arquais par 35° en plein midi, mais j'ai pu capter cette scène singulière dans un monument historique très visité .
Akbar ne supportait sans doute pas la promiscuité avec le petit personnel et discutait des affaires courantes au sommet de ce pilier, ses conseillers se tenant sur les galeries de l'autre côté des passerelles.
Petite anecdote pour ce bas-relief : les yeux des animaux étaient des rubis et des émeraudes. Lors d'un baston qui a dû mal tourner, ils ont été décapités et les joyaux se sont envolés
C'est dans ces alcôves que logeaient les deux-cents servantes de son Altesse. Des cordes tendues depuis les anneaux de pierre délimitaient leur espace privé.
La grande cour et en son centre une jolie petite mosquée tout en marbre où repose un marabout vénéré. Les fidèles accrochent au délicat filigrane de pierre des rubans qui symbolisent leurs vœux (pas plus de trois par personne). Pour entrer dans ce saint des saints, ne possédant pas la petite calotte des Musulmans pratiquants, je me suis vu affubler d'une espèce d'essoreuse à salade sur la tronche. Malheureusement, je n'ai pas pensé à me faire tirer le portrait par Marianne dans cet accoutrement, ça vous aurait fait rigoler !
Et l'on termine la visite par une grande porte et son escalier monumental. Incredible India, tel est le slogan du ministère du tourisme. Effectivement, vous imaginez ce troupeau de chèvres à Versailles ou à Chenonceau ?