Dernière journée, l'imposant fort rouge d'Agra.
Rouge dehors, mais plutôt blanc dedans car essentiellement bâti en marbre pour l'intérieur.
La petite mosquée réservée aux femmes, dans un coin discret à l'abri du regard concupiscent des hommes.
Mais mais mais... Qu'est-ce que mon œil de lynx croit apercevoir là-bas au loin, dans la brume matinale ?
Eh oui, c'est bien lui !
Passée la monumentale porte d'entrée et après avoir jeté un coup d'œil à l'immense mosquée, on est enfin au clou du voyage !
Construit comme mausolée au décès de son épouse préférée par l'empereur Shah Jehan, l'incroyable joyau de marbre ciselé qu'est le Taj Mahal nous saute aux yeux. On a beau l'avoir vu des dizaines de fois sur Géo ou sur Arte, on est scotché, comme les milliers d'autres visiteurs car vous pensez bien que nous ne sommes pas tout seuls !
Là, comme le chantait le lézard, this is the end, my only friend the end...
Il ne reste plus qu'à se cogner la longue route vers Delhi, traverser l'Inde vers Chennai sur un A 320 Neo d'Air India -ils ont une flotte toute récente et remarquable-, puis rentrer le lendemain chez nous sur un Boeing 737-800 d'Air Austral : heureusement, notre compagnie locale n'a pas acheté le nouveau 737 Max, celui qui vole 737 secondes au Maximum !
Après les cartes postales -désolé, j'ai été un peu long, mais j'ai eu du mal à faire des coupes plus sombres dans mes photos -, quelques impressions de voyage.
D'abord les villes grouillantes -mais pas que, les moindres bourgs aussi- donnent un peu le tournis. Les Indiens sont un milliard 300 millions et la population augmente chaque année de douze nouveaux millions ! D'accord, le pays est six fois grand comme la France, mais une telle densité chez nous équivaudrait à 216 millions d'habitants dans l'hexagone. Et pourtant, de nombreux déserts peu peuplés émaillent le pays !
A part ça, si bien sûr les vendeurs se montrent toujours insistants pour qu'on visite leur boutique, un refus poli, souriant mais ferme les fait vite renoncer : ce n'est pas le harcèlement de Marrakech !
Ensuite, si beaucoup baragouinent -dans les lieux touristiques du moins- un peu d'anglais, leur accent est souvent épouvantable, nous avons tendu l'oreille et fait répéter régulièrement. Je vous ai beaucoup parlé de Kumar parce qu'il maîtrisait bien et que nous pouvions tenir de longues conversations avec lui. Beaucoup moins de Mani, notre chauffeur du sud, un chic type pourtant aussi, mais un peu brut de décoffrage : son anglais plus que basique ne nous permettait que d'échanger quelques phrases simples, le minimum syndical !
Ainsi, un beau jour, dans le Tamil Nadu, nous dépassons notre première Royal Enfield comme celle-ci et j'évoque à Marianne ce monument roulant.
Mani pige un peu de quoi je parle et m'annonce doctoralement : "Ah ! Rahal Enfédé ! Good bike !"
Les mésaventures cocasses se succèdent avec d'autres interlocuteurs et voici trois exemples parmi des centaines.
A Pondichéry, un Indien francophile -mais pas francophone- nous arrête dans le quartier français et nous parle de sa ville dont il est manifestement épris. Dans sa conversation revient souvent le mot "Bilish" : the Bilish par ci, the Bilish par là... il nous a fallu un certain temps pour comprendre qu'il évoquait les Anglais qui se sont disputé jadis la ville avec les Français !
A Churu, un local nous entendant parler nous demande tout à trac : "Ouah Kanté ?". Il voulait savoir de quel pays nous venions...
Et à Udaipur où je voulais suivre les résultats du rallye de Suède et où la Wi-Fi passait aussi mal dans notre chambre qu'à la réception, un membre du personnel m'indique obligeamment : "Gadin ! Gadin!" En effet, ça marchait mieux dans le jardin.
Après, l'incontournable pollution. Même si à ma grande surprise les camions les plus cacochymes ne crachent pas l'énorme nuage de fumée noire que l'on peut voir en Amérique du Sud ou à Madagascar, les grandes villes sont en permanence enveloppées d'un smog jaunâtre. Ainsi, voici le palais du gouvernement à Delhi pris sans filtre à deux cents mètres de distance :
Et les usines, de la plus modeste briqueterie à la plus grosse cimenterie rejettent dans l'atmosphère leur pesant de lourdes traînées de suie !
Mais la pollution, c'est aussi ce malheur moderne que constitue l'utilisation abondante de sacs plastique. Le gouvernement fait pourtant des efforts de sensibilisation, beaucoup de commerçants emballent leur vente dans un sachet bleu d'une espèce de tissu biodégradable, mais c'est une goutte d'eau dans l'océan. La bourgade de Jojawar est traversée d'un ruisseau dont les eaux étaient peut-être limpides il y a mille ans, mais voilà ce qu'il est devenu :
Dans leur grande majorité, les Indiens ne sont pas sensibilisés du tout à cette calamité. Dans le même bourg de Jojawar, trois zigues discutent sur le marché en buvant leur tchaï (du thé au lait) dans de minuscules gobelets en carton : les trois gorgées avalées, ils jettent à l'unisson le récipient à leurs pieds. Vous avez vu les carrelets de Cochin : lorsque l'équipage relève le filet, il y a bien sûr le butin recherché, le poisson, mais avec toutes les saloperies qui traînent dans les mers, il y a aussi des sacs et des bouteilles en plastique. Que croyez-vous qu'ils font ? Qu'ils mettent les déchets dans une poubelle à terre ? Pas du tout, ils les rebalancent à la flotte, quitte à les remonter cinq minutes plus tard à la levée suivante. A Udaipur, nous prenons notre repas de midi dans un restaurant de classe relativement chicos, belle terrasse avec vue sur le lac : le serveur nous apporte nos bières, les décapsule, enlève le papier alu du goulot et au lieu de mettre le tout dans sa poche pour le jeter en cuisine, il balance par dessus le muret dans la ruelle voisine ! Quant à notre Kumar, il mangeait sans arrêt des bonbons dont les papiers aluminisés finissaient invariablement sur la route...
Cependant, je n'ai vu qu'un rat dans une ruelle de Pondichéry et pas le moindre cafard sur les marchés, dans les chambres d'hôtel ou les restaus. A ma grande surprise d'ailleurs !
Et comme j'aime bien l'automobile, je finis par cela !
Les Indiens adorent les anciennes, et l'on trouve non dans les musées mais dans les cours d'hôtel ce genre de décoration.
Parmi les "anciennes-modernes" les Ambassador sillonnent encore les routes en grand nombre.
Après, on voit des engins hétéroclites ...
Mais le mot d'ordre pour les utilitaires est la surcharge.
Quant à la circulation !
Kumar nous avait prévenus le premier jour que les transports de voyageurs étaient limités à 80 km/h, ce qui était d'ailleurs affiché en gros sur le pare-brise. C'était sa seule règle de conduite, même lorsque nous étions sur une autoroute déserte -ce qui est rare- il s'y tenait absolument. Le problème, c'est qu'il traversait sans sourciller et sans lever le pied, toujours à 80 des villages bondés, avertisseur bloqué au ras du nez des piétons, des tuc-tuc et ... des vaches. Bon, on n'a écrasé personne ! Mais c'est tout à fait surréaliste : sur ce qui tient lieu d'autoroute (en fait des voies à chaussées séparées mais à péage), on voit des moissonneuses-batteuses qui partent pour la récolte de riz.
Contrairement aux nôtres, des chemins de terre aboutissent sur ces voies rapides et, pour ne pas faire un détour, il n'est pas rare de voir un tracteur ou un camion circuler carrément à contre-sens, comme celui qui vient en face ! La survie est un miracle permanent !
Lorsque la Mahindra est pleine, on tire à la courte paille pour savoir qui, qui, qui fera le voyage ainsi, des dizaines de kilomètres sur la nationale.
Et le cargo mixte routier est d'usage : trois quarts marchandises, un quart passagers, même sur les autoroutes !
Un dernier mot sur le parc actuel. En dehors de la production locale (Mahindra, Tata, et les Maruti qui sont des Suzuki construites sous licence), beaucoup de Coréennes et de Japonaises, mais dont la plupart ne sont pas vendues chez nous, comme les deux Toyota Etios dont nous avons disposé :
Hormis le premium (Mercedes, BMW, Audi et... Jaguar) peu d'Européennes à part quelques Fiat Punto, VW Polo et Ford Fiesta. Pas de Citroën ou de Peugeot, mais j'ai vu une rutilante DS7 dans un coin paumé où elle devait se demander comment elle avait pu atterrir là. Renault est bien présent, mais avec des Dacia Duster rebaptisées et frappées du losange, des Nissan Micra qui s'appellent là-bas Renault Pulse, et cette curieuse Kwid fabriquée localement :
Voilà, ce coup-là c'est fini pour de bon !
Quid de la kwid ? D'après la queen , elle couine !
Après l'allitération d'hier, te voilà dans l'assonance !
J'attends maintenant l'anaphore, l'oxymore ou l'hyperbole !
Pour l'hyperbole , il va falloir beaucoup de chance ...
Bah, si tu veux avoir un hyper-bol, tu dis juste que Loeb c'est Dieu, et tu tiens ta figure de rhétorique !
Un grand merci à toi Zoréol pour ce magnifique reportage. Les photos sont vraiment superbes et m'ont permis de découvrir ce pays alors que pour je ne sais quelle raison (préjugés? ) je n'y avais jamais vu le moindre intérêt.
Et comme c'est fort bien raconté, on glisse sur les pages et on se laisse emporter dans ton voyage.
Oui, c'est assez stupéfiant, et encore nous ne sommes allés ni à Bénarès (qui s'appelle aujourd'hui Varanasi) ni dans le delta du Gange au Bengale, ni à Bombay (Mumbai de nos jours).
Ces trois dernières années, nous avons vu la Bolivie, le Japon et l'Inde : des endroits aux antipodes les uns des autres par leurs paysages et leurs civilisations, mais dont nous ne sommes pas ressortis indifférents !
Si ceux qui méprisent les voisins du village d'à côté parce qu'ils n'ont pas exactement la même façon de vivre pouvaient voir la diversité de notre petit globe bleu, se frotter à d'autres mœurs, d'autres religions, d'autres manières de passer le court séjour ici-bas, on vivrait tellement mieux !
Notre Juan de l'altiplano bolivien, les Tokyoïtes qui nous ont renseignés dans le métro, le Kumar qui était aux petits soins avec Marianne et moi sont si différents de nous, et pourtant nous les avons côtoyés et aimés le temps d'une rencontre d'un instant ou de deux semaines.
Le vaste monde, c'est beau, mais il faut aussi que je vous montre "mon ti péi".
Lorsque mon pote Philou n'avait pas encore vendu son bateau, le Platypus, pour partir quatre ans bosser à Wallis, nous sortions pêcher le samedi matin. Et lorsque nous avions la chance de sortir une bête, comme ce yellow fin d'une vingtaine de kilos, nous rentrions chez lui le dépecer et en faire -entre autres- un carpaccio. Le temps de piquer une tête à la piscine et c'était suffisamment mariné. Elle est pas belle, la vie ?
Et en hiver, nous allions voire les baleines de près.
Nous n'avons pas énormément d'animaux, mais on peut en voir tout de même comme ces jolis petits geckos (on dit des margouillats) qui squattent notre varangue et sont d'excellents insecticides bio :
Ou l'effronté tec-tec qui nous accompagne dans nos randos et saute de branche en branche devant nous en attendant les insectes que nos pas soulèveront.
Au cours desdites randos, on peut voir des bibs, énormes araignées tout à fait inoffensives ou un couple de papangues, rapaces endémiques.
Ou en plus basse altitude, ces tisserins -que l'on appelle curieusement ici des béliers- et leurs nids compliqués.
En bord de mer, le spectaculaire paille en queue qui niche dans les tunnels de lave des falaises.
Parfois, une tortue verte vient s'aventurer dans le lagon juste devant la case...
... ou un caméléon -appelé ici "l'endormi"- dans le jardin de la voisine du dessous :
Mais le grand spectacle, c'est de juillet à septembre : même quand on n'a plus de bateau, il suffit d'aller régulièrement en bord de mer pour les voir juste de l'autre côté de la barrière de corail.
En octobre, les jacarandas illuminent les hauts.
Puis en décembre, surtout sur notre côte ouest, ce sont les flamboyants : là, on sait que Noël est proche.
Sur les hauteurs humides, les fougères arborescentes appelées fanjans.
Et dans les cirques, particulièrement Salazie, le plus humide, c'est toute l'année une explosion de couleurs :
Les cérémonies malbar (les descendants des engagés indiens qui sont venus bosser lorsque l'abolition de l'esclavage a supprimé la main d'œuvre servile) sont nombreuses. Et l'on voit bien que notre petit caillou n'est pas si loin que ça de l'Incredible India. Le lendemain, vous rencontrerez ces gens en jean et en chemise dans leur magasin ou en complet veston -ou alors en tailleur chicos et hauts talons pour ces dames dont certaines sont superbes, n'est-ce pas ?- à la réception d'un gros concessionnaire automobile ou dans une administration quelconque.